La dernière frontière
Croisière plongée en Alaska
Un reportage de Pascal Kobeh
"The last Frontier", c’est le nom que l’on donne à cet état des USA. L’Alaska est en effet à part au sein des Etats-Unis d’Amérique, ne serait-ce que parce qu’il est séparé des autres états par le Canada ; il est également l’extrême limite avant l’Asie, l’ultime fontière, un petit peu le bout du bout du monde. C’est aussi l’état de tous les superlatifs. Le plus grand, le plus austral, le plus froid, le plus sauvage... Tant sous l’eau qu’au-dessus de l’eau la nature est sauvage, rude, comme les conditions climatiques, mais superbe et quasi inviolée encore.
L’Archipel Alexandre situé au sud-ouest de l’Alaska, constitué de plus de 1.000 île, appelé encore « Passage Intérieur » est réputé dangereux pour la navigation. C’est à ce prix que ces trésors naturels s’offrent aux touristes chanceux à bord d’un remorqueur centenaire et transformé et bateau de croisière pour plongeurs avertis. Au milieu de ces paysages superbes, sauvages à l’atmosphère fantomatique au milieu de la brume, on est loin de la cohue égyptienne des bateaux sur les sites de plongées. Ici rien, le calme, l’immensité, la nature vierge. Pas un souffle. Ou presque, car des souffles on en entendra et on en verra : baleines à bosse, orques, otaries de Steller (les plus grosses existantes).
Reprenons depuis le début. La journée, si elle commence tôt, commence plutôt bien. Leeanne, la divemaster et Tim le capitaine nous ont prévenus : « demain ce sera une plongée assez tôt à cause de la marée et du courant. Nous prendrons un copieux petit-déjeuner après ». C’est entendu et, vers 7h du matin, voilà la bande de cinglés en train d’enfiler soigneusement ses combinaisons avant de se jeter dans une eau entre 6 et 8°. Certes le ballet d’otaries de Steller (de deux à trois fois plus grosses que les otaries de Californie), joueuses à la limite du harcèlement (il faut parfois tenir son masque) est un spectacle hors du commun. Il est rare d’observer des mastodontes qui peuvent atteindre près de 300 kg pour les femelles et 1 tonne pour les mâles évoluer avec tant d’agilité et de vélocité.
Retour au bateau pour ce fameux petit-déjeuner tant mérité, mais pas de chance. Tim nous prévient qu’un groupe d’orques est en vue du bateau. « Est ce que ça vous tente d’aller les voir de plus près ? ». Quelle question ! La bouche encore pleine du pancake dégoulinant du sirop d’érable, c’est à qui se rue sur la doudoune et l’appareil photo terrestre. Et là c’est effectivement tout un groupe qui évolue calmement devant nous avec parmi eux le chef du clan, un mâle à l’aileron bizarrement recourbé (immédiatement baptisé Capitaine Crochet) et un tout petit collé à sa mère.
Une plongée sur « Inian Island », complètement différente de la première. Un très beau tombant, recouvert d’anémones plumeuses géantes qui donne une superbe ambiance avec ce champ d’énormes choux-fleurs blancs uniquement troublé par le rouge pétant d’une étoile de mer ou d’une anémone piscivore. Difficile de se concentrer sur les centaines de trésors qui arrivent à de cacher à l’ombre de ces « arbustes » blancs : crevettes, nudibranches, "sculpins" ou chabots, des "Irish Lords" aux rouges somptueux...
Fantômatique encore cette petite baie baptisée "Secret Place", car personne à bord ne se risque à révéler son emplacement exact, où dès que l’on met la tête sous une eau très verte (et toujours froide autour de 6 - 8 °) on est fasciné, médusé serait le terme plus exact, par ces centaines, voire milliers d’Aurélies qui se rassemblent ici, probablement au gré des courants. Un pur bonheur de photographe ! Au risque de lasser, je passerais rapidement sur l’excitation qui s’empare de chacun de nous devant les chimères qui paradent à "Foggy Rock" ou les poissons-loups à ocelles, eux planqués au fond de leur trou.
Manque de bol, au retour, c’est à nouveau la course. Plusieurs baleines à bosse n’ont rien trouvé de mieux que de se livrer à une orgie de krill et de petits poissons, pour le plus grand plaisir de la nuée de mouettes tridactyles qui les survolent et qui ont permis encore une fois à Tim de repérer une activité inhabituelle. Une nouvelle fois, les stakhanovistes de la prise de vue s’en donnent à cœur joie.
On l’aura compris, cette région, encore complètement sauvage, est le sanctuaire d’une faune innombrable et rare, dont le fameux pygargue à tête blanche (Bald Eagle) emblème des USA tant au-dessus de la surface que sous l’eau. Et, ce qui ne gâte rien, les baleines à bosse, orques, loutres de mer, otaries de Steller trouvent tout naturellement leur place dans des paysages majestueux et sous des lumières grandioses. Il n’est pas rare de voir ces paysages inviolés apparaître sous un manteau de brume qui parfois donne un air de fin de monde ou de région hantée.
Une croisière en Alaska, c’est donc tout à la fois des paysages puissants, une nature sauvage, une faune tant au-dessus que sous l’eau impressionnante et rare, du moins que l’on n’a pas l’habitude de croiser couramment. Sans être l’aventure, une croisière dans ce croiseur presque centenaire, reconverti dans la croisière plongée de luxe, reste un voyage d’exception.
Pascal Kobeh
Texte et Photos