Des otaries et des bancs
Croisière plongée en Mer de Cortez
Un reportage de Pascal Kobeh
L’âge aidant, quand on a pas mal roulé sa bosse aux quatre coins de notre planète mer, on devient difficile. Il reste néanmoins des endroits où l’on est prêt à sauter à pieds joints dans nos palmes rien qu’à l’évocation de leur nom. Pour n’y être jamais allé, la mer de Cortez fait partie de ces endroits qui font divaguer mon imagination. En croisière de surcroît, le moyen idéal à mes yeux pour découvrir l’un des hauts lieux de la plongée, tant vanté dans ce petit monde.
Effectuer un voyage de plusieurs milliers de kilomètres pour à l’arrivée louper le départ du bateau a quelque chose d’angoissant. On se dit que pour un rendez-vous manqué, la croisière est loupée et tout de suite « adieu sensations inoubliables et images fortes ». Néanmoins, contre mauvaise fortune bon cœur, rejoindre le bateau de jour (à son mouillage après une navigation de nuit) m’a permis d’admirer les superbes falaises escarpées des îlots au large de La Paz. Yves qui m’accueille à bord et après les présentations d’usage, me réconforte tout de suite. « Ne t’inquiète pas, tu n’as loupé qu’une plongée avec des otaries. Tu peux être sûr que tu en verras d’autres ». Effectivement la deuxième plongée de la journée, dans l’après-midi, m’offrira le spectacle de plusieurs otaries traversant près de la surface un banc de comètes mexicaines. Me voilà rassuré en partageant l’apéro avec le groupe de Français. Je n’ai pas loupé grand chose, la « Margarita » est bonne et le bateau vogue tranquillement de Los Islotes vers sa prochaine destination.
La mer de Cortez recèle de nombreux trésors pour qui fouille un peu sur internet ou dans les guides. Et l’imagination va bon train. Bancs de requins marteaux, requins baleines, raies manta, baleines grises ou à bosse, et même le plus grand animal vivant sur terre, la baleine bleue... tous sont présents dans ce que l’on appelle également le Golfe de Californie, paradis de la biodiversité et refuge naturel qui abrite entre autres les ébats et les naissances de bons nombres de ces bestioles. Soyons honnête, je ne verrai rien de tout ceci faute de chance pour certaines espèces comme les requins baleines, les raies manta ou les requins marteaux, faute de ne pas être à la bonne saison pour les baleines (hiver et printemps principalement, voire même jusqu’en été pour certaines espèces).
La mer de Cortez est probablement LA destination pour observer l’otarie de Californie. Même avec la plus grande guigne du monde, il est impossible de ne pas frayer avec elles, que ce soit à « Las Animas » ou à d’autres endroits comme « Los Islotes ». Joueuses, il est impossible, même pour le plus fanatique des photographes, de ne pas ôter l’œil du viseur et de ne pas se laisser entraîner dans une sarabande faite de brusques allers-retours et de mordillements des mains que l’on tend. Au risque d’être accusé d’anthropomorphisme, il est difficile de ne pas imaginer une parcelle d’humanité dans ces grands yeux au regard attendrissant, voire même implorant une réaction, une caresse. Humaines également les réactions des gros mâles qui foncent gueule ouverte sur le plongeur imprudent qui aura importuné de trop près l’une de ses conquêtes, sans qu’elle n’y soit consentante. Attitude de pure intimidation quand les deux parties en restent là, le plongeur imprudent en étant quitte pour quelques plaisanteries vaseuses à son retour sur le bateau. Après tout, on est bien entre plongeurs, n’est-ce pas ?
Mais reprenons le fil de notre croisière. J’en étais resté à l’apéro que je déguste d’autant plus sous cette brise agréable et ces superbes couleurs du coucher de soleil que la journée de demain s’annonce prometteuse avec trois plongées dans la journée et une de nuit sur « las Animas », les âmes. Tout un programme ! L’eau bleue et limpide, la visi remarquable n’encouragent pas les mystères ; je ne sais pas si l’endroit est hanté mais habité par de beaux bancs de carangues aux gros yeux, de pompaneaux, de chromis et de lutjans, ça oui ! Redescendre à la pointe de ce sec face au courant vers une quarantaine de mètres de profondeur, seul pour y faire ses images est un plaisir immense que Joël, plus guide qu’encadrant a très bien compris. Et pour couronner le tout et éliminer les excès d’azote du matin, la plongée de l’après-midi tourne à la séance de jeu et de cache-cache avec un petit groupe d’otaries.
L’autre attraction de cette croisière fut pour moi les bancs de poissons. Que ce soit sur les épaves de « Salva Tierra » ou de « Fang Ming », à « Los Islotes » avec les otaries fonçant dedans, ou encore à « La Reina », les poissons en bancs compacts sont omniprésents. On a beau avoir traîné ses palmes au quatre coins du monde lors de quelques milliers de plongées, les océans offrent toujours au plus blasé un spectacle inoubliable. Ce fut le cas pour moi à « La Reina ». Trois fois la même plongée sur ce site, et jamais rassasié. J’aurais presque pu y consacrer toute la croisière tant ce spectacle était éblouissant. Je n’avais jamais, (vraiment jamais) vu un banc de poissons aussi compact, aussi grand, aussi spectaculaire.
Il est vrai que je ne suis jamais allé en Afrique du Sud admirer le « Sardine Run ». Mais ici, rien que le spectacle de ces chinchards à gros yeux appelés aussi « coulirous », vaut le déplacement. Il m’était difficile, même au super grand angle (16 mm fisheye tout de même) de saisir l’ampleur de cette masse grouillante, sans cesse déformée par les plongeurs qui s’engouffrent dedans, et sans cesse refermée sur eux au point de les rendre invisibles jusqu’à ce qu’ils surgissent de l’autre côté. Parfois un mur, parfois une tornade, à d’autres moments un dôme, une soucoupe, une boule, multiformes ce banc a fait la joie de tout le groupe pendant toute une journée. Il était difficile de résister à l’envie de pénétrer dedans pour essayer de le faire exploser.
Peine perdue, le plongeur était absorbé jusqu’à disparaître complètement. Si l’on se retrouvait en dessous, c’était immédiatement le noir absolu, comme en plongée de nuit. Si ce banc était de loin le plus impressionnant de la croisière, d’autres tout aussi admirables ont régalé les observateurs de comportement. Ainsi du banc de « verrues au nez court » (si, si c’est leur nom) sur l’épave du « Sava Tierra » régulièrement traversée par des prédateurs tels que les vivaneaux ou carangues, qui se déchire dans un bruit de claquement pour se reformer l’instant d’après. Là également, le spectacle était si prenant qu’y consacrer une plongée entière était presque insuffisant.
Au retour à La Paz, le port d’attache il est clair qu’hormis ces bancs superbes et le régal du spectacle l’interaction avec les otaries, les plongées et les rencontres ont été un peu en deçà de mes espérances. « El Bajo » ne nous aura pas été favorable pour la rencontre des marteaux, pas de requin baleine non plus, ni de raies autres que pastenagues. Bien sûr même si ce golfe est considéré comme un refuge naturel pour beaucoup d’espèces, comme d’habitude en mer, rien n’y est garanti et, pour avoir glané ça et là beaucoup d’informations, j’ai acquis la certitude que sa réputation n’est pas usurpée. La mer de Cortez est grande et les surprises toujours possible. J’y retournerai avec joie.
Pascal Kobeh
Texte et Photos