Les raggies d’Aliwal Shoal
Séjour plongée à Aliwal Soal en Afrique du Sud
Un reportage de Pascal Kobeh
Si l’avenir appartient bien à ceux qui se lèvent tôt, alors le nôtre semble prometteur. Heureusement qu’il n’y a pas de décalage horaire à cette époque de l’année entre la France et l’Afrique du Sud, car à peine arrivé à Umkomaas (45 minutes au sud de Durban), rendez-vous est fixé à 6 heures du matin pour la première sortie. Ce qui ne laisse que quelques heures de sommeil.
Pour ceux qui seraient encore assoupis, le passage de la barre, gilet de sauvetage bien noué autour de soi, pieds calés dans les sangles du zodiac et ligne de vie solidement agrippée, est l’assurance d’un réveil garanti, parfois en douceur, et à d’autres moments, plus vigoureux. Hormis ce passage, la mer est plutôt calme à cette époque de l’année (début juillet) et les 15 à 20 minutes de navigation jusqu’au récif d’Aliwal Shoal plutôt tranquilles. Comme moi les quelques plongeurs qui m’accompagnent ne sont pas spécialement masos et que je sache n’ont pas de crimes particuliers à expier. La raison de leur présence si tôt à bord est ce qui nous stimule tous : observer au plus près des requins, et plus particulièrement le requin taureau (Carcharias taurus), communément appelé « raggie » même par les francophones.
Le requin taureau mesure entre 2 et 3 m. C’est un animal placide, et heureusement ! Avec ses trois rangées de dents protubérantes, effilés et recourbées qui lui donnent un air agressif, il pourrait facilement être victime du délit de sale gueule, d’autant que c’est l’espèce la plus proche du grand requin blanc. Et pourtant son existence ne commence pas sous les meilleurs auspices pour sa réputation. Ovovivipare, la femelle donne en général naissance à un ou deux petits au bout d’environ 9 mois de gestation. A peine éclos dans le ventre de sa mère le petit « raggie » va commencer par dévorer ses frères et sœurs encore dans l’œuf pour devenir suffisamment fort et sortir du ventre de la mère. Cannibale intra-utérin, on fait plus plaisants comme débuts dans la vie ! Tout de suite indépendant, il va grossir et devenir adulte en se nourrissant essentiellement de poissons benthiques jusqu’à engloutir de plus petits requins et des raies. Inutile de dire qu’il est complètement inoffensif à l’égard de l’homme.
L’autre caractéristique du requin taureau (aussi appelé requin des sables) est sa pratique du poumon ballast ou plus exactement de l’estomac ballast. Pour maintenir son équilibre il remonte régulièrement à la surface pour avaler de l’air et de ce fait on le trouve dans des eaux peu profondes, pour notre plus grand bonheur. Et Aliwal Shoal est l’un des hauts lieux pour l’observation de cette espèce dans le monde. Migrateurs, ils se rassemblent entre mai et novembre pour la reproduction (qui d’après les scientifiques a lieu à l’automne) au large des côtes de Durban.
Lors de mes plongées, notamment à « Cathedral », dont je ne me lassais pas, il nous est arrivé d’observer le tranquille ballet d’au moins une trentaine, voire largement plus, d’individus, des mâles en très grande majorité. Tranquille, car cette espèce nage très lentement, quasiment en stationnaire, et peut passer à quelques centimètres d’un plongeur sans manifester la moindre nervosité ou excitation. A condition qu’on adopte le même calme, la rencontre se passera de la meilleure façon du monde et laissera tout loisir pour faire crépiter ses flashs.
Si les « raggies » étaient le principal objet de ma curiosité et de ce reportage, il est toujours excitant d’effectuer une plongée à l’extérieur du récif, davantage dans le bleu, pour observer d’autres espèces que l’on attire à l’aide d’un seau perforé rempli d’appâts. Ce jour là, outre les mérous patates de service, nous aurons eu la chance d’attirer quelques requins bordés ou pointe noire (Carcharhinus limbatus), mais, hélas, pas de requin tigre qu’on observe également souvent dans ces eaux.
A part « Cathedral », d’autres sites comme « Aliwal Shoal Cave », « Raggies Cave », ou encore les deux épaves, « Nebo » et « MV Produce » qui ont respectivement sombré en 1884 et 1974, sont l’occasion d’observer et d’admirer par exemple des bancs d’athérines, de hottentots bronzes, de grogneurs rayés, de tortues vertes, de raies pastenagues, torpilles, mérous patates, poissons-scorpions etc. quand on ne retombe pas nez à nez avec un placide requin taureau. J’avoue m’être moins concentré, au cours de ce séjour, sur la petite faune, même si Rae, notre guide dont le récif est l’arrière-cour depuis 19 ans, tenait absolument à me montrer les 6 poissons-feuilles qu’elle avait répertoriés.
Plonger à Aliwal Shoal redonne plaisamment un coup de fouet au moral du plongeur qui sillonne les mers. Partout, on ne peut hélas que constater une certaine diminution de la biodiversité. Plus simplement, je constate avec tristesse, que l’on voit de moins en moins de « gros », surtout les requins, à cause principalement de la surpêche. Quelques endroits très délimités (et pour la plupart très chers) comme Cocos, Malpelo, les Galapagos, les Tuamotu ou encore Socorro et quelques passes des Maldives (heureusement j’en oublie sûrement, mais pas tant que ça) offrent encore le spectacle grandiose de contempler ces seigneurs des mers par dizaines, par bancs entiers. Et ici, à Aliwal Shoal, zone marine protégée où la pêche est interdite, c’est par dizaines et dizaines (images à l’appui) qu’ils se sont donnés à nous en spectacle, même si l’un d’entre eux n’arrêtait pas de passer devant moi, un hameçon dans la gueule.
Plonger à Aliwal Shoal, de la côte c’est en général une quinzaine de minutes de navigation qui peut se prolonger d’une heure, voire plus, à l’instar de l’intervalle de surface. La faute en revient (en été) aux baleines à bosse qui remontent de l’Antarctique s’accoupler ou mettre bas et aux dauphins (toute l’année) qui escortent les zodiacs. Le spectacle de ces Léviathans de quelque 25 tonnes qui jaillissent complètement hors de l’eau pour retomber dans un « splash » retentissant participe également à la magie de cet endroit, décidément paradis du « gros ».
Pascal Kobeh
Texte et Photos